Daniel Frank demeure fidèle à la représentation de l’être humain. Ses personnages surdimensionnés semblent nous interroger d’un regard insistant, et finissent par nous paraître familiers. Posés en équilibre instable sur un fond blanc, ils évoluent dans les limbes d’un monde aseptisé où seule la chair peut s’exprimer. En effet, depuis que l’artiste assimile la peinture à un acte d’amour, son oeuvre procède d’une certaine sensualité : dans un mouvement de désir, l’oeil explore le corps humain jusque dans ses moindres détails, pour ensuite mieux permettre à la main de transcrire cette vision de proximité. Les aportraits qui résultent de cette expérience intime sont traités de manière fortement colorée et contrastent d’autant plus avec l’espace monochrome qui les entoure. On en garde une impression de collage, un souvenir de silhouette qui laisse la même empreinte visuelle que les effigies des icônes byzantines. Pas de mise en scène, de flatterie ou d’artifice : représentés le plus souvent de manière frontale, les personnages de Daniel Frank sont simplement en train de poser, ce qui entraîne une réflexion sur la peinture. Isolés de leur environnement quotidien et suspendus dans un univers atemporel, ils sont condamnés à parler d’eux-mêmes et à signifier quelque chose – si bien qu’ils deviennent des icônes du XXIe siècle.

“La peinture n’est pas une image. Elle est grande et pèse lourd. Sa présence est celle d’un être vivant qu’on sent respirer” – Daniel Frank

L’artiste s’intéresse récemment au portrait de couples. La réflexion porte sur l’ambivalence d’une union entre deux personnes : réunis dans une pose où leurs corps sont en contact permanent, la femme et l’homme forment un ensemble indissociable. Figés dans l’instant d’affection que le pinceau de l’artiste a su capter, ils demeurent pourtant éternellement livrés à la solitude d’un monde en apesanteur, et n’ont plus que le spectateur à qui s’adresser. À nous de résoudre l’énigme d’une situation à la fois fertile et contraignante.

Daniel Frank adopte la technique de la peinture à l’huile sur toile. La franchise des poses et le traitement de ses nus se situent dans la lignée de Lucian Freud, et son style réaliste s’apparente avec celui du peintre américain Eric Fischl. Sans dessin sous-jacent ni construction préalable, l’artiste applique directement la couleur sur la toile préparée. S’il commence par les yeux, pour ensuite ébaucher un visage encore incertain, il finira bientôt par dresser une image d’une impressionnante monumentalité et d’une force presque sculpturale.

Céline Eidenbenz – juillet 2003